l'Histoire de la Gaillarde

Les évènements de mai 68 à l’Ecole, décrits dans les deux éditions de l’Histoire de La Gaillarde, par Jean-Paul Legros (M63) et Jean Argelès [1], diffusées par l’amicale des anciens élèves [2]

Mai 68, cinquante ans déjà

Histoire de la Gaillarde

Récit de Denis Josselin (M66)

Point de vue de Pierre Baillon (M66)

Témoignage de P. Mainsaint (M66)

Témoignage de Colette Crouzet (M55)

Mai 1968.

Revenons un peu en arrière. Les élèves qui arrivent à la Gaillarde en Octobre 1964 acceptent mal le bizutage pourtant fort peu méchant. Jean PINEAU, élève de seconde année, écrit : « II est cependant de notre devoir de transmettre cet héritage, car qui sait si les promotions à venir n'auront pas le regret de ces traditions perdues ». En fait les nouveaux étudiants sont scindés en deux groupes d'importance égale.

Le premier groupe pourrait être affublé de l'étiquette « joyeux conservateurs ». Comme leurs aînés ils sont attachés aux traditions de l'Ecole et passent tout leur temps à travailler ou à se distraire. La réforme de l'Université, la politique, l'avenir de la France, le développement du tiers-monde, semblent ne pas les concerner. C'est une apparence. Ils n'aiment pas évoquer ces événements sur lesquels ils n'ont pas prise. Ils savent que la seule façon de pouvoir un jour infléchir le cours des choses, est de travailler à l'acquisition d'une situation les amenant à un poste de responsabilités.

Le second groupe d'étudiants est à ranger dans les « réformateurs tristes ». Ceux là ne sont contents de rien. Ils ont la sensation d'être des privilégiés et cela leur déplaît. Poussés par des syndicats étudiants politisés ils veulent la suppression des Grandes Ecoles, ou tout au moins une sorte d'alignement sur l'Université. Ils souhaitent la transformation de l'ENSA en « Faculté d'Agronomie » et le changement du « Directeur » en « Doyen ». Ils se croient « isolés dans leur tour d'ivoire ». Ils ignorent, bien entendu, tout ce que La Gaillarde a fait pour justement éviter ce reproche. Il ne connaissent rien des luttes menées au coude à coude par les professeurs de l'Ecole et les habitants du Languedoc, lors de la crise du phylloxéra, pendant les événements de 1907 ou au cours des deux guerres mondiales. Ils causent, ils causent... Ils suivent aussi avec passion les conférences de René DUMONT sur la faim dans le monde. Cet agronome, professeur à l'Agro de Paris, vient d'écrire (en 1962) un ouvrage excellent et prémonitoire : « l'Afrique Noire est mal partie ». DUMONT voit juste sur la plupart des points. Les décennies suivantes le montreront. Les étudiants idéalistes de La Gaillarde reçoivent le message cinq sur cinq. Ils se réunissent périodiquement pour parler des problèmes de développement.

Inutile de préciser que les « conservateurs » et les « réformateurs » ne se parlent guère. Les premiers voient dans les seconds des enfants gâtés, un peu snobs, qui « crachent dans la soupe ». Les réformateurs toisent de haut ces rustres incapables de comprendre que la discussion sur le Vietnam doit passer avant l'étude du dernier cours d'agriculture. Tout cela se résume en une apostrophe : « espèce de c... ! ».

En 1967 la préparation du bal se déroule dans des conditions déplorables. Une moitié de la promotion est sur les échelles en train de peindre les murs, l'autre moitié est en bas à ne rien faire, sinon à se moquer de ceux qui travaillent. Le soir de la fête, les contestataires distribuent des tracts aux invités. Une jeune et jolie Parisienne, venue en robe du soir, sourit à un grand dadais qui, en jean et pull, gaspille son énergie et ses paperasses. Elle lui dit, après avoir eu soin de l'examiner ostensiblement de la tête aux pieds : « vous faites très village, mon ami ».

Puis c'est Mai 1968. A La Gaillarde les palabres vont bon train. Les cours sont suspendus. Chaque matin une partie du personnel se réunit pour savoir si l'on va travailler ou non. Chacun explique son point de vue. A midi moins cinq, on vote la reconduction de la grève. Cela dure jusqu'à ce que DE GAULLE fasse tout rentrer dans l'ordre par son discours du 30 mai. Cependant, les élèves passent leurs examens normalement ou à peu près.

La crise va laisser quelques traces. Le bizutage disparaît. Le dernier bal est organisé le 5 décembre 1970 sur le thème « Fantastique et épouvante ». Les élèves affectent de ne plus se connaître entre eux. Cette évolution est facilitée à La Gaillarde par toutes sortes de transformations, nécessaires techniquement, mais désastreuses au plan de la camaraderie. D'abord l'effectif des promotions croît fortement. On passe de 42 élèves en 1960 à 75 ou 80 à partir de 1971. Les étudiants ne peuvent plus être logés et beaucoup sont externes. La cantine de l'Ecole qui était organisée comme un vrai restaurant est transformée en self-service, à la demande des intéressés. Mais le restaurant universitaire attire les élèves car, moins bon, il est aussi moins cher. On ne se retrouve donc même pas pour les repas, il n’y a plus d’activités collectives. Mais, on n'a rien sans rien ; faute d'activités il n'y a plus d'argent, et faute d'argent il n'y a plus de voyages de promotions.

Par ailleurs, au plan des études, Mai 68 n'a pas apporté de changements importants. Certes, on a beaucoup réfléchi et on a instauré un dialogue durable entre professeurs et élèves. C'est déjà bien. Mais peu de choses concrètes ont émergé à la suite de ce « remue-méninges ». Le mot de la fin appartient au Président des Anciens Elèves. Rendant compte d'un énorme débat comme seul Mai 1968 sut en provoquer, il écrit : « Ces questions ont été posées et n'ont pas été résolues ».

[1] Grands historiens de l’Ecole, on leur doit notamment la biographie de Camille Saintpierre, également présente sur le site

[2] Première édition, avec le concours de Gabriel Buchet, 2ème trimestre 1986. Deuxième édition « l’Odyssée des Agronomes de Montpellier », édité par Edit’Agro (UNIA) 4ème trimestre 1997, sous le patronage de Jean Billiemaz, alors président des anciens élèves